L'histoire vivante
Du "reenactment" à "l'histoire vivante"

Les origines

La reconstitution puise sa source dans la fin des années 60, chez nos voisins d'outre-Manche. C'est à cette époque qu'un groupe de joueurs de wargames commence à s'ennuyer. En effet, ils ont tout fait : wargame sur carte, avec figurines, etc. L'un de leurs responsables, Peter Young, un ancien militaire de carrière passablement excentrique, propose alors de refaire des batailles de la guerre civile britannique (début du 17e siècle) pour de vrai. Voilà donc nos wargamers dehors, en chemises, bonnets et gilets de cuir ferraillant de bon coeur avec piques et rapières. Ce groupe donnera naissance au Sealed Knots, l'une des deux plus grosses fédérations reconstituant cette guerre. Avec le temps, les costumes sont devenus plus proches de la réalité historique et les pratiquants toujours plus nombreux. Le but principal est longtemps resté de rassembler un maximum de personnes pour reconstituer des batailles. Cette activité a pris le nom de re-enactment. Puis, pour diverses raisons, certains passionnés se sont pris au jeu d'aller encore plus loin vers une reconstitution méticuleuse et très détaillée des aspects de la vie quotidienne. Il s'agit là plutôt de l'apanage de groupes peu nombreux mais extrêmement bien équipés en règle générale. Cette variante dans la pratique de ce hobby a été appelée living history (littéralement : histoire vivante). Dans un pays très attaché à son histoire et son patrimoine, la reconstitution est vite devenue très populaire. Après la guerre civile, c'est bien vite d'autres périodes qui ont été ramenées à la vie. Pour le Moyen Âge, deux périodes fédèrent de très nombreux pratiquants dans tous le Royaume-Uni : les Xe et XIe siècles du fait des invasions vikings et normandes, ainsi que le XVe siècle à cause de la Guerre des Roses.

En France, c'est une dizaine d'années plus tard que débute le phénomène. Il est revendiqué par les poudristes, les tireurs à poudre noire. Ces passionnés de tir traditionnel se déguisent alors pour des concours. Le tir western étant à l'honneur, on assiste à des débauches de vestes à franges (ça fait trappeur) et de chapeaux à larges bords (comme John Wayne) lors de compétitions. Avec le temps, et surtout avec la venue de passionnés d'histoire militaire, les vieux blue-jeans sont remplacés par des tenues plus réalistes et des copies d'uniforme de la Guerre de Sécession. Très rapidement dans la foulée des passionnés de l'époque napoléonienne ont saisi au bond l'occasion de faire vivre leurs rêves. La reconstitution de ces époques récentes de notre histoire a atteint à présent un haut niveau d'authenticité et est très bien organisée. On peut citer pour exemple ce groupe napoléonien où l'obtention des chevrons d'ancienneté se fait réellement à l'ancienneté, c'est-à-dire en fonction du nombre de sorties effectuées sur une année par un membre.

Eh oui ! Notre cher Moyen Âge ne s'est développé qu'après. Dans un premier temps il semble que cette période a surtout attiré des rêveurs (pourfendant des dragons ou de sombres trolls, dans leur tête, et se moquant pas mal de l'apparence réelle de nos ancêtres) ou encore des pseudo-mystiques se prenant pour de vrais chevaliers (oui, oui, comme dans Chevalier Ardent, avec une vision romantique digne de Viollet-le-Duc ou de sir Walter Scott ...soupir...). Cette étape n'est d'ailleurs pas si lointaine et vous risquez fort de croiser l'une de ces deux espèces lors d'une manifestation médiévale...
L'élément fédérateur des pionniers de ce qu'on appelait alors le médiéval (le fait que ce terme soit vague et relativement vide de sens pour décrire ce hobby est symptomatique des débuts : les passionnés cherchaient leurs marques à l'époque) est sans conteste le spectacle. Ainsi, la plupart des groupes les plus anciens se sont constitués à l'origine pour participer à des fêtes médiévales et non pour vivre l'histoire de façon authentique.

Les apports britanniques

Si le monde du spectacle a influencé l'écrasante majeure partie des troupes françaises, certains se sont inspirés très tôt des pratiques anglaises du living history. Revenons rapidement sur les voies anglaises pour mieux comprendre la situation. Nos amis d'outre-manche sont de véritables passionnés, attachés viscéralement à leur patrimoine (en Grande-Bretagne on remonte un château complètement dans le temps où, en France, on étudie la question de reboucher ou non une fissure...). Ils sont généralement très rigoureux dans leur approche. Cependant, il faut bien avouer qu'ils ont tendance à s'enfermer dans un genre et à ne plus en sortir. C'est ainsi que depuis fort longtemps les re-enactors et les living history performers se critiquent mutuellement avec plus ou moins de véhémence. C'est à qui reprochera à l'autre de privilégier la quantité à la qualité ou, au contraire, d'être trop élitiste, voir snob. Ces querelles semblaient s'être calmées il y a quelques années mais sont malheureusement reparties de plus belle. On ne peut que regretter que certains groupes continentaux sous forte influence anglaise n'aient rien trouvés de mieux que de faire écho à cette affaire alors qu'elle est somme toute anglo-anglaise.

Par contre, c'est bien le living history qu'ont importé en France quelques personnes, sans doute en opposition à la tendance de l'animation (souvent très bonne par ailleurs, quoique non authentique) qui prédomine encore. Ces importations ne sont pas toujours heureuses, car elles sont souvent restées au stade de copie pure. Ainsi, ce détachement du public qu'ont nos voisins anglais se retrouve-t-il aussi sur le continent. Chez eux, c'est leur culture plutôt introvertie et leur volonté de vaquer à leurs occupations historiques sans faire de cirque qui les poussent à construire ce mur virtuel entre le public et eux. Chez nous, le public est plutôt extraverti et considère très mal cette distance qui est interprétée comme du dédain, la vexation n'est alors pas très loin. De plus, les connaissances des détails de la vie quotidienne sont peu assimilées dans notre pays qui privilégie encore et toujours l'enseignement de l'histoire événementielle. De ce fait, si le public sent bien que ces reconstitueurs doivent être authentiques, ils n'ont pas les clefs d'une réelle compréhension de ce qu'ils font. Dans ce cas, derrière la vexation il y a l'ennui et le public se retourne alors vers autre chose.

La lente évolution française

Comme en Angleterre, on peut considérer qu'on avait alors à faire essentiellement à deux pratiques :
- l'une privilégiant le spectacle au détriment des aspects historiques ;
- l'autre tournée vers l'authenticité à tout prix... même si elle n'intéressait qu'eux.
Dans les faits cependant, la situation n'était pas aussi tranchée que cela et les années l'ont prouvé. Effectivement, contrairement à la Grande-Bretagne, ces approches se sont mêlées assez vite. On a vu ainsi les rares groupes équipés à l'anglaise emprunter des façons de travailler au monde du spectacle. Non pas dans la réalisation d'une manifestation, mais plutôt dans sa façon de l'aborder et l'organiser. Pareillement, de nombreuses association médiévalisantes (dont la nôtre d'ailleurs) se sont tournées progressivement vers l'authenticité, tout en conservant une grande ouverture vers le public, caractéristique principale du monde de l'animation.

Une voie française ?

Si l'apport de nos amis d'Albion est indéniable, on remarquera qu'avec le temps s'est créé une voie française, issue en droite ligne de notre approche plus spectaculaire de l'histoire. La dichotomie re-enactment/ living history est (heureusement) quasi-absente du paysage français. La majeure partie des reconstitueurs hexagonaux tendent vers la rigueur du living history tout en n'hésitant pas à se lancer dans une bataille comme des re-enactors. Cette voie française semble allier :
- l'ouverture vers le public ;
- des démonstrations dynamiques (et souvent interactives) ;
- un grand respect de la réalité historique ;
- des recherches poussées pour tendre vers l'authenticité.
En outre, nous avons développé en France à l'usage un jargon qui nous est propre et très différent de celui des britanniques. Ainsi chez nous, le terme histoire vivante est générique. Il désigne plutôt toute activité historique en costume, qu'elle soit fantaisiste ou au plus près de la réalité de l'époque évoquée. L'approche privilégiant l'authenticité est elle appelée plus spécifiquement reconstitution historique. Celle plus tournée vers un aspect spectacle est souvent désignée par le terme animation. À noter que ceux pratiquant la forme la plus outrancière de cette approche (tendant à déformer et de fait ridiculiser notre héritage historique) sont souvent qualifiés péjorativement de playmobils.

Notre propre vision

Non, non, nous ne renions pas nos origines... Notre groupe (comme tant d'autres) est issu de l'animation de rue. À nos débuts, nous déambulions dans les fêtes avec nos hauberts de mailles, enfilés sur ce qu'on peut difficilement appeler autrement que des déguisements...
Nous en faisions des tonnes lors de nos duels, à grand renfort de roulades au sol et de hurlements plus ou moins compréhensibles...
Donc, si vous avez des photos de nous à cette époque, il est inutile d'essayer de nous faire chanter, nous assumons tout (enfin, dites toujours un prix...) !

Nous avons eu la chance de pouvoir observer de nombreux groupes français, anglais, allemands et suisses (pour ces deux dernières nationalités, nous n'avons pas de mérite en tant qu'association alsacienne...) au cours de ces années et nous avons pu ainsi nous forger notre propre vision des choses. Bien entendu, ceci n'engage que nous-mêmes.


  • Nous essayons de tendre le plus possible vers l'authenticité de la reconstitution de nos costumes et pièces d'équipement ;
  • pour ce faire, nous acceptons toute méthode de fabrication, ancestrale ou à la pointe de la technologie, du moment que le résultat a un aspect historique ;
  • mais il faut être réaliste et humble. Nous devons faire face à de nombreux facteurs limitants : état des connaissances sur certains détails, les possibilités techniques de refabrication et surtout le nerf de la guerre... les moyens financiers ;
  • nous assumons nos approximations dans toutes les circonstances. Si l'un de nos membres n'a pas les moyens de se payer ou se faire un couteau de table authentique, il n'essaiera jamais de vous faire passer comme historique son couteau moderne en bois et à lame en inox retaillée à la meuleuse...
  • Nous nous efforçons de réduire ces facteurs limitant au maximum de nos possibilités, car ils ne doivent pas servir d'excuse à la médiocrité ;
  • nous voulons transmettre notre passion au public et faire en sorte qu'il passe un bon moment en notre compagnie, tout en apprenant sur le Moyen Âge ;
  • nous devons donc être disponibles aux questions et sollicitations du public ;
  • nous n'hésitons pas à interpeller le public. Nous sommes disposés à faire ce qui est nécessaire pour captiver son attention. Non, il ne s'agit pas d'abaisser le niveau pour ratisser large (nous ne sommes pas une chaîne de télévision privée...), mais d'être dynamique pour que le message soit agréable ;
  • nous privilégions l'être au paraître, nous laissons donc les grandes tirades à la Cyrano de Bergerac aux acteurs qui le font bien mieux que nous.

Si l'aspect pédagogique (sans la connotation ennuyeuse qui accompagne souvent ce mot...) définit bien notre association (enfin nous l'espérons !), nous nous sommes rendus compte que d'autres associations françaises partagent une bonne partie de notre vision de la reconstitution historique médiévale.

Alors si vous êtes un passionné d'histoire, ne vous contentez pas de nous regarder. Prenez le train de la reconstitution en marche ! Venez apprendre, vous amuser, voyager dans le temps, rêver tout éveillé, vivre notre histoire tout en la faisant partager. Mais attention, quand on y a goûté, on a du mal à s'en passer !



Texte de Lionel Charluteau, mis à jour le 12/05/2003