Escrime, guerre et armement
Fauchon / Messer

Le braquemar(t/d)

Il s'agit du mot utilisé par le rédacteur du document La Noble science des joueurs d'espee... pour traduire le mot allemand messer. Selon les études étymologiques, ce mot, braquemart, apparaît dès le deuxième quart du XVe siècle et serait issu d'un mot néerlandais, breecmes. L'origine néerlandaise me conduit à deux réflexions. Tout d'abord, La Noble science a été publiée à Anvers, une ville actuellement de tradition linguistique flamande ; c'est une curieuse coïncidence de trouver l'utilisation de cette traduction de messer, non loin des terres où ce mot trouve son origine. Je rappelle qu'un traducteur moderne aurait traduit sans hésitation messer par couteau, et dans un contexte médiéval aurait peut-être opté pour dague, ce qui dans les deux cas aurait été un contre-sens, car en 1538, dague et couteau sont d'usage commun et ni l'un ni l'autre n'a trouvé preneur pour la traduction. C'est que sans doute ce terme braquemar était déjà consacré pour désigner l'arme sinon la pratique qui en était faite.

Ce qui me conduit à la deuxième réflexion, c'est peut-on être sûr que le terme braquemar désignait bien pour un francophone du XVIe siècle, l'arme que les escrimeurs allemands désignent sous le nom de messer ? C'est dans le Journal du voyage en Italie de Montaigne ([MON]) que l'on trouve une réponse. L'auteur narre une soirée à Augbsourg : « Après disner nous fumes voir escrimer en une sale publicque où il y avoit une grand’presse, & païe-t-on à l’antrée, com’aus bâteleurs, & outre cela les sieges des bancs. Ils y tirarent au pouignard, à l’espée à deus mains, au bâton à deus bouts, & au braquemart. ». La tradition d'escrime à Augsbourg est très importante, la ville est même considérée par Hills comme un des centres les plus important du Saint Empire. Le récit de de Montaigne a été publié aux alentours de 1580 ; derrière le terme braquemart du texte de Montaigne se trouve bien évidemment la pratique du combat au messer, bien que en cette fin du XVIe siècle l'arme a évolué vers le dussack, les techniques étant les mêmes. Le braquemart semble ainsi désigner le dussack ou le messer.

Il n'en reste pas moins que des épées à un tranchant se retrouvent régulièrement dans l'iconographie depuis le XIIIe siècle ; elles devaient bien porter un nom, être désignées autrement, ou alors elles l'étaient en tant qu'épées. Mais alors pourquoi ne pas avoir utilisé le terme épée pour traduire messer dans la Noble science ? D'autant que braquemar est très récent.

Braquemart dans les sources

Deux braquemarts sont cités dans des inventaires après décès de bourgeois de Dijon (ADCO B II/356 cotes 11 à 20), dans des documents relatifs aux années 1423-1439 [PIP].

Citations trouvées grace au dictionnaire du Moyen Français.

  • ...ung autre ymage tenant en sa main senestre ung bracquemart (Comptes Lille L., t.2, a.1467, 2).
  • A petit Jehan, coustellier, six escus, pour troys serpes, troys braquemarts, et plusieurs petitz cousteaulx (Comptes roi René A., t.1, 1476, 381).
  • ...ledit Fauconnier (...) se retourna vers ledit Jehan Herveron, et en ce faisant tira son dit cousteau en braquemart hors de la gueyne et lui dit : "Ha ! paysans, je vous galleray bien à ceste heure." (Doc. Poitou G., t.12, 1476, 140).
  • Frans Cousteliers, laissez voz bracquemars (LA VIGNE, Compl. roy Bazoche M.R., 1501, 399).
  • Citations extraites de lettres de rémissions bretonnes de 1531 et 1532.

  • ...une petite espee en maniere de bracquemart de laquelle il frappa d'un coup d'estoc... (B33-33 ligne 43)
  • ...eust porté avecq luy ung cousteau en faczon de braquemare a coupper des porches pour ses hengues... (couteau à découper des porcs pour en extraire les viscères) (B34-53 ligne 11)
  • ...« Viencza ou portes-tu ce grant grate-navet ? » parlant dudit bracquemare... (B34-53 ligne 20)
  • Citation extraite de l'oeuvre de Rabelais

  • Ces gens icy sont bien mal exercés en faits d’armes; car onques ne m’ont demandé ma foy, et ne m’ont osté mon braquemart. (Gargantua, chap. 44)
  • Breecmes

    Le Middelnederlandsch Woordenboek (dictionnaire de la langue néerlandophone médiévale) donne pour Breecmes: « un couteau destiné à hacher en général et à désherber en particulier ».
    Mes est couteau.
    Breec vient de brecen, c.-à-d. casser.
    Le breecmes devait donc désigner un gros couteau à forte lame.

    Bibliographie

    [MON] Journal du voyage de Michel de Montaigne en Italie par la Suisse & l'Allemagne en 1580 & 1581. Rome : 1774. Téléchargeable dans sa première version imprimée.

    [PIP] PIPONNIER, Françoise. L'armement personnel en Bourgogne à l'époque de la guerre de Cent Ans. In Le convoi militaire. Fasciculi archaeologiae historicae n°XV. Lodz : 2003. p. 71-78.

    Mis à jour le 12/06/2006